Lettre d'une spectatrice:

Nous étions une centaine assis sous des couvertures, dans une vieille grange en bois.

Un grand panneau poudré, argenté, comme un décor du temps des elfes (Brocéliande pas loin), laissant entrer ou sortir un monde imaginaire, féérique, de l'au-delà, (...) donnait une clarté de jour.
Et au sol, une chape de plâtre étincelante bordée d'eau qui tombait en goutte-a-goutte du plafond.

Le tout superbement agencé (...) - et c'est dans ce décor, inconnu des deux personnages, que le Frère et la Soeur sont arrivés, les yeux fermés, guidés, tel une Antigone et son Père, ne connaissant pas la réplique de l'autre, ne s'étant jamais concertés, (s'aimant seulement,) comme deux amants. Frères de sang. Là, ils se sont découverts, nus comme Adam et Eve(...)

Personnellement, je pourrais jouer quelque chose du genre émotionnel, mais eux doivent s'extraire pour laisser entrer le jeu (le paradoxe du comédien), c'est cette partie que je ne peux pas comprendre, et c'est cette force qui nous donne la joie.
C'était donc un spectacle fort, riche en grâce de répliques que chacun recevait comme par magie.
Connaissant le texte, j'ai pu me laisser envahir par chaque pulsation de mots, comme un flot de sang s'échappant d'une naissance et d'une agonie a la fois - (douleur - douceur inextricablement mêlées)... mais là il faut que j'arrête mon délire.

Côté pratique, ils s'étaient donnés 7 ou 8 temps d'arrêt pour gérer d'éventuels trous de mémoire. Je ne m'en suis pas aperçue, j'ai même cru que chacun connaissait aussi bien le texte de l'autre. Mais non - donc j'ai trouvé très forte leur capacité a enchaîner les dialogues, et ça, c'est fort.

En plus ils devaient se déplacer, se regarder, s'orienter, les yeux ouverts - peut être qu'aveugles c'eût été plus facile .
Nous étions transportés par la présence forte des deux personnages qui me paraissaient être plutôt des anges.
Marguerite était là, je la sentais si proche.

Marguerite Duras, nageant parfois loin dans la mer pour s'égarer, se fortifier et revenant, oubliant, triomphante, jetant ses mots, sans rancoeur, sans trouble, avec toujours cette détermination inviolée.

- j'en pleure encore.